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L’exception légale d’obligation d’affectation de l’indemnité versée par l’assureur

Dans un arrêt en date du 6 février 2020 (Cass. Civ. 3ème, 6 févr. 2020, n° 18-22788), la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme la lecture de l’article L.121-17 du Code des assurances déjà amorcée par la deuxième chambre (Cass. Civ. 2ème, 19 avr. 2019, n° 18-13371) s’agissant de l’obligation d’affectation de l’indemnité versée à l’assurée.

Les juges de la Haute juridiction considèrent « qu’il résulte de l’article L.121-17 du Code des assurances que, pour obtenir la restitution de l’indemnité qu’il a versée, l’assureur doit établir que l’assuré n’a pas affecté celle-ci à la réalisation des mesures de remises en état définies par un arrêté du maire intervenu dans les conditions prévues par le dernier alinéa de ce texte. »

Pour rappel, l’article L.121-17 du Code des assurances dispose que : 

« Sauf dans le cas visé à l'article L. 121-16, les indemnités versées en réparation d'un dommage causé à un immeuble bâti doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d'assiette, d'une manière compatible avec l'environnement dudit immeuble.

Toute clause contraire dans les contrats d'assurance est nulle d'ordre public.

Un arrêté du maire prescrit les mesures de remise en état susmentionnées, dans un délai de deux mois suivant la notification du sinistre au maire par l'assureur ou l'assuré.
»


Hors le domaine des catastrophes naturelles et celui des assurances obligatoires, il s’agit là de la seule exception légale au principe de libre utilisation de l’indemnité d’assurance par l’assuré tel que retenu par la jurisprudence depuis de nombreuses années (s’agissant des exceptions légales et contractuelles, voir RGDA juill. 2019, n° 116r6, p. 18, note Kullmann J.).

En l’espèce, un incendie avait détruit un local à usage commercial et endommagé les parties communes de l’immeuble, sinistre pour lequel le syndicat de copropriétaire ainsi que le propriétaire du local commercial avaient été indemnisés par leur assureur qui, par la suite, a intenté une action en restitution de l’indemnité au motif que les mesures de remise en état n’avaient pas été prises.

Le pourvoi de l’assureur est rejeté au motif que le maire n’avait pas pris d’arrêté définissant les mesures de remise en état.

La réponse déjà apportée par l’arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 avril 2019 n’était pas si évidente dans la mesure où l’on pourrait considérer qu’en l’absence d’arrêté municipal, l’assuré devrait affecter l’indemnité reçue à des travaux dont il déterminerait le périmètre.

La Cour de cassation répond clairement : l’arrêté du maire est une condition nécessaire à l’obligation d’affectation, étant rappelé que l’arrêté est pris dans des situations très particulières à savoir lorsque la sécurité publique est menacée par un effondrement ou un péril imminent.

Dans la continuité de cet arrêt ainsi que de celui de 2019, deux questions centrales peuvent se poser : 


  • La première question est de savoir si le devoir d’affectation édicté par l’article L.121-17 du Code des assurances s’applique à l’ensemble des assurances de dommages en ce compris les assurances de responsabilité.

    La question présente un intérêt particulier puisque si les assurances de responsabilité sont concernées par lesdites dispositions, inscrites dans le Chapitre Ier : Dispositions générales du Code des assurances relatif au contrat d’assurance, l’indemnité versée par l’assureur du tiers responsable à la victime devrait également faire l’objet d’une obligation d’affectation.

    La réponse paraît devoir être affirmative car a priori la Cour de cassation désigne également les assurances de responsabilité qui relève légalement de la catégorie des assurances de dommages.

    Toutefois, comme le rappelle le Professeur Kullmann, cette appréciation des assurances de dommages ne peut être retenue puisque, lors d’une conférence organisée par les étudiants de l’Institut des Assurances de Paris Dauphine le 23 mai 2019, l’avocat général de la deuxième chambre civile avait précisé qu’il s’agissait des assurances de choses et non des assurances de responsabilité.

    La question reste néanmoins ouverte …


  • La deuxième question réside dans les sanctions qui pourraient être appliquées en cas d’absence d’affection de l’indemnité de la part de l’assuré.

    L’article L.121-17 du Code des assurances ne mentionne en effet aucune sanction.

    Bien que l’action en restitution de l’indemnité puisse sembler être une solution « logique » et plus avantageuse pour l’assureur, ce n’est pas l’avis des juges du fond.

    Notamment, la Cour d’appel de Lyon s’est prononcée sur cette question suite au renvoi après cassation de l’arrêt du 18 avril 2019 (CA Lyon, 18 févr. 2020, n° 19/04692) : « Ce texte n'édictant aucune sanction spécifique, le non-respect de l'obligation d'affectation de l'indemnité ne saurait ouvrir à l'assureur une action en répétition de l'indu. S'il est susceptible de constituer une faute ouvrant droit à réparation pour l'assureur ce ne peut être qu'à la condition que celui-ci ait subi un préjudice en lien de causalité avec cette faute. »

    L’assureur devrait donc démontrer l’existence d’un préjudice qui lui a causé l’absence d’affection, soit une preuve délicate, pour ne pas impossible à apporter sauf à ce qu’un nouveau sinistre apparaisse en lien avec l’absence de travaux.

    La doctrine ne semble pas souscrire à cette analyse qui empêcherait la possibilité d’une sanction à l’encontre de la personne qui ne respecterait pas les dispositions de l’article L.121-17 du Code des assurances.

    Il faudrait donc attendre un nouvel arrêt de la Cour de cassation traitant de ce sujet pour avoir une réponse claire à cette question même si les arrêts en date du 18 avril 2019 et 6 février 2020 paraissent admettre la possibilité d’une action en restitution de l’indemnité qui, aux yeux de la Haute juridiction, est déjà une sanction efficace…


À n’en pas douter, la jurisprudence aura certainement l’occasion de se prononcer sur ces questions afin d’avoir une grille de lecture complète de l’article L.121-17 du Code des assurances…

Ecrit par
Maître Xavier Laurent