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La force majeure face à l'épidémie de Covid-19

L’épidémie de coronavirus a amené l’Etat français à prendre des mesures radicales notamment de confinement contraignant la majorité des français au télétravail et de nombreuses entreprises à revoir leur capacité de production et/ou à se réorganiser pour faire face à d’importantes difficultés économiques et logistiques dans un climat qualifié « d’urgence de santé publique de portée internationale » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 30 janvier 2020.

Dans ce contexte, la difficulté d’exécution des contrats prend une acuité particulière à un point tel que cela va inéluctablement générer des différends sensibles et importants.

En effet, nombre d’acteurs économiques vont être tentés d’invoquer en premier lieu la force majeure pour excuser la non-exécution de leurs obligations contractuelles et essayer d’échapper à toute responsabilité à ce titre.

Dès lors, d’aucuns se posent la question de savoir si le Covid-19 constitue ou non un cas de force majeure justifiant l’inexécution contractuelle ou l’application de pénalités contractuelles ? Une telle question intéresse non seulement les professionnels et entreprises, mais aussi leurs assureurs de responsabilité civile dont la garantie serait recherchée à l’occasion par exemple d’un dommage causé à un tiers du fait de l’inexécution d’un contrat par l’assuré.

Il faut d’abord chercher la réponse dans le contrat.

Il est en effet essentiel de vérifier l’existence d’une clause de force majeure dans le contrat, laquelle clause a été considérée, depuis de nombreuses années, comme étant licite par la jurisprudence et la doctrine à l’exception de celle dite extensive figurant dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou non professionnel.

Le cas échéant, il faut rechercher les éléments expressément mentionnés dans la clause susvisée comme « maladies », « épidémies » ou « mesures gouvernementales », lesquels permettraient de relier le contexte actuel avec les stipulations contractuelles.

Une fois ces éléments identifiés, il faut examiner les modalités pratiques consécutives à la mise en oeuvre d’une situation de force majeure telle que définie dans ladite clause contractuelle de sorte qu’il sera possible de respecter les conditions de mise en oeuvre (comme une obligation d’information) et d’en anticiper alors les conséquences telles que la suspension, la résolution, etc.

Néanmoins, de nombreux contrats ne contiennent pas de clauses bien identifiées définissant la force majeure, voire ne contiennent aucune clause en la matière si bien qu’en l’absence de volonté claire des parties, il faut se reporter aux textes en vigueur et à la jurisprudence y afférente.

La force majeure est définie par l’article 1218 du Code civil (modifié par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016) qui dispose : « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Ainsi, ce texte confirme les trois conditions requises par la jurisprudence (notamment Cass. Assemblée Plénière, 14 avril 2006) pour qu’un évènement soit considéré comme constituant un cas de force majeure :

  • L’évènement doit être irrésistible, i.e. il empêche l’exécution du contrat et « (ses) effets ne peuvent être évités par des mesures appropriés » ;
  • L’évènement doit être imprévisible, i.e. il ne « pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat » ;
  • L’évènement doit être extérieur, i.e. indépendant de la volonté de la partie qui ne peut plus exécuter ses obligations.

S’agissant de vente internationale de marchandises, l’article 79 de la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises pose les mêmes conditions en ce qu’il dispose : « Une partie n’est pas responsable de l’inexécution de l’une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre d’elle qu’elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’elle le prévienne ou le surmonte ou qu’elle en prévienne ou surmonte les conséquences. »

Une partie au contrat peut donc s’exonérer de sa responsabilité en présence d’un empêchement présentant les trois conditions sous réserve cependant de l’appréciation souveraine du juge en la matière et ce compte tenu du terme « raisonnablement »  employé par les textes et susceptible d’interprétation restrictive.

Quid alors de l’application de ces conditions au regard de l’épidémie du Covid-19 ?  

La Cour d’appel de Colmar s’est déjà prononcé deux fois sur la notion de force majeure en présence de cas résultant de l’épidémie de Covid-19, (CA Colmar, 12 mars 2020, n° RG 20/01098 et 23 mars 2020, n° RG 20/01206). En l’espèce, il s’agissait d’apprécier l’absence du demandeur d’asile à l’audience, ce dernier ayant été en contact avec une personne infectée par le virus : la Cour a considéré que cette absence était justifiée « en raison des circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à l'épidémie en cours de Covid-19 ».

Ces arrêts, au demeurant peu motivés, ayant été rendus au début de l’épidémie du Covid-19 et dans le domaine particulier qu’est le droit des étrangers, il est délicat de transposer leur solution en droit des contrats.

C’est donc à la lumière des arrêts rendus à propos d’épidémies passées qu’il convient de chercher la réponse selon les domaines concernés.

S’agissant des contrats de séjours touristiques et de voyages, les épidémies que l’humanité a connues ces dernières années se sont généralement concentrées sur des zones particulières du globe (Dengue, Ebola, SRAS…) si bien que les contentieux, en droit français, ont souvent concernés des problématiques liées à l’annulation de séjours touristiques ou voyages.

La plupart des arrêts rendus dans ce domaine ne retiennent pas la force majeure en cas d’inexécution du contrat par l’une des parties.

A titre d’exemples :

  • A propos de l’épidémie de Chikungunya, la Cour d’appel de Basse-Terre a jugé que cette dernière ne pouvait être considérée comme un cas de force majeure en raison de son manque d’imprévisibilité et surtout d’irrésistibilité étant donné que la maladie est soulagée par la prise d’antalgiques (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° RG 17/00739).
  • A propos de l’épidémie de peste proche d’une étape d’un croisiériste, la Cour d’appel de Paris a estimé qu’une telle épidémie ne présentait pas un caractère certain évident en l’absence de consignes de sécurité de la part des autorités locales, d’une part, et de l’existence d’un traitement préventif, d’autre part (CA Paris, 25 septembre 1998, JurisData n° 1998-024244).
  • A propos de l’épidémie de Dengue survenue en 2007, la Cour d’appel de Nancy a retenu non seulement que des mesures de protections existaient ou qu’il ne s’agissait pas d’un « phénomène nouveau » mais aussi que la maladie « ne présentait pas de complications dans la majorité des cas » (CA Nancy, 22 novembre 2010, n° RG 09/00003).

On déduit de ces décisions que l’attention des juges s’est portée notamment sur la gravité limitée de la maladie pour considérer qu’elle ne constituait pas un cas de force majeure.

Faut-il alors considérer par un raisonnement a contrario que l’épidémie de Covid-19 est constitutive de force majeure compte tenu du taux de mortalité et du nombre de personnes infectées ? On pourrait le penser vu le développement actuel de l’épidémie.

S’agissant des contrats conclus dans les autres domaines, la Cour d’appel de Besançon a été amenée à se prononcer sur une inexécution contractuelle (refus de paiement) dont la justification reposait sur l’apparition de la grippe H1N1 en France qui, selon le débiteur, était un cas de force majeure (CA Besançon, 2ème chambre commerciale, 8 janvier 2014, n° RG 12/02291).

En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas retenu la force majeure en ce que « l’épidémie de grippe H1N1 a été largement annoncée et prévue avant même la mise en oeuvre de la réglementation sanitaire » si bien que les conditions d’irrésistibilité et d’imprévisibilité n’étaient pas remplies.

A l’inverse, la Cour d’appel d’Agen (CA Agen, 21 janvier 1993, JurisData n° 0993-040559) a quant à elle retenu la force majeure dans le cas de d’une épidémie de brucellose bovine : « cette maladie, qui déborde facilement les mesures prises par la loi, d’une très grande virulence et d’une contagiosité redoutable, peut en effet être transmise par n’importe quel vecteur tel piqûres d’insectes ou corps humain, et se caractérise par une période de latence indécelable et imprévisible ».

Il faut cependant préciser que cet arrêt a été rendu en matière de garde de la chose et donc de responsabilité extracontractuelle et non contractuelle.

Par ailleurs, outre les conditions de la force majeure, la partie concernée doit prouver un lien de causalité entre l’inexécution contractuelle et l’événement revêtant les caractéristiques de la force majeure.

C’est en ce sens que la Cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 6 - Chambre 12, 17 mars 2016, n° RG 15/04263) a jugé que le défaut de paiement de cotisations, pour une société ayant notamment une activité en Afrique de l’Ouest lors de l’épidémie du virus Ebola, ne pouvait être imputé à cette même épidémie, ses filiales africaines ayant reversé des redevances couvrant le paiement de cotisations demandé par les organismes sociaux.

De manière générale, il est certain qu’au vu des conditions actuelles, l’épidémie de Covid-19 va donner lieu à des contentieux portant sur la justification ou non de la force majeure.

Une lecture attentive de chaque contrat est bien évidemment essentielle.

En l’absence de clause de force majeure, si les décisions citées ci-avant ne permettent pas de préjuger de la solution qu’adopteront les tribunaux saisis d’un litige lié à l’épidémie de Covid-19, elles peuvent permettre de se faire une première idée de la tendance qui pourrait se dégager étant précisé que chaque cas d’application est fortement influencé par le contexte de l’espèce que les juges apprécient souverainement.

Etant ajouté, d’une part, que l’une des particularités de l’épidémie de Covid-19 réside dans l’« obligation » de confinement qui à n’en pas douter sera un argument que beaucoup avanceront pour justifier la difficulté de l’exécution des contrats mais qui sera, le cas échéant, là encore sujette à interprétation quant à son étendue et, d’autre part, que d’autres arguments pourraient être invoqués à l’image de l’imprévision définie par l’article 1195 du Code civil (« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.»)

A suivre donc …

Ecrit par
Maître Xavier Laurent