+33(0)1.40.07.81.43
English

L'indemnisation de l'état antérieur méconnu

Un arrêt récent de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation (Cass. Civ. 2ème, 20 mai 2020, n°18-24095) mérite une attention toute particulière en ce qu’il traite de l’épineuse question de l’indemnisation d’un état antérieur méconnu.

Avant d’étudier en détail les faits de l’espèce, il semble primordial d’évoquer la notion même d’état antérieur et son traitement par les juridictions françaises en matière d’indemnisation des victimes de dommage corporel.

La jurisprudence considère, de manière constante, qu’en l’absence de délai prévisible de survenance de l’état antérieur asymptomatique au moment de l’accident, il n’est pas possible de prendre ce dernier pour évaluer les dommages corporels indemnisables. 

En d’autres termes, l’indemnisation par le responsable de l’accident ne sera réduite que si l’état antérieur devait se révéler dans un délai prévisible. 

Cette solution est énoncée par un arrêt de principe rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation en 2011 (Cass. Crim., 11 janvier 2011, n°10-81716). 


« Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres constatations que la coxarthrose, jusque-là débutante et silencieuse, n'a été révélée que par l'accident et qu'en l'absence de celui-ci, la pose d'une prothèse n'aurait pas eu lieu dans un délai prévisible, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé »

On le voit donc, le rôle de l’expert est prépondérant dans la description de l’état antérieur puisque ses conclusions permettront aux juridictions de se prononcer sur la notion de « délai prévisible ».

C’est pourquoi, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Lyon qui avait fixé à 30% la perte de chance de la victime suite à l’accident car la victime présentait une coxarthrose gauche qui aurait justifié, selon l’expert, dans un délai très proche, la pose d’une prothèse de hanche (Cass. Civ. 2ème, 6 février 2014, n°13-11074). 

Toutefois, en matière psychiatrique, les juges semblent apprécier strictement l’état antérieur asymptomatique, peu important les résultats de l’expertise. 

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’il existait un lien de causalité entre l’accident et la paraplégie liée à une conversion hystérique favorisée par une prédisposition, celle-ci n’étant pas de nature à réduire son droit à indemnisation, et ce en dépit des conclusions expertales qui avait rejeté l’existence d’un lien de causalité (Cass. Civ. 2ème, 10 novembre 2009, n°08-16920). 

Il est d’ailleurs intéressant de noter que cet arrêt a eu les honneurs d’une publication au bulletin. 

L’arrêt de la Haute Juridiction en date du 20 mai 2020 s’inscrit quant à lui dans la solution jurisprudentielle classique. 

En l’espèce, la victime, âgée de 56 ans au moment des faits, a été victime d’un accident de la circulation ayant engendré un traumatisme cervical bénin ainsi qu’un syndrome parkinsonien étant précisé que ce syndrome était méconnu avant l’accident, la Cour d’appel Bordeaux ayant retenu qu’ « il n’avait été repéré avant l’accident ni tremblements ni maladie de Parkinson ».

Les juges de la 2ème chambre civile rejettent le pourvoi au motif qu’il « n’était pas possible de dire dans quel délai cette maladie serait survenue, que la pathologie de M. X ne s’était pas extériorisée avant l’accident sous la forme d’une quelconque invalidité, que cette affection n’avait été révélée que par le fait dommageable, en sorte qu’elle lui était imputable et que le droit à réparation de M. X était intégral ».

En l’absence de délai prévisible, la Cour d’appel n’avait pas à procéder à d’autres recherches.


« Qu’ayant ainsi fait ressortir qu’il n’était pas justifié que la pathologie latente de M. X, révélée par l’accident, se serait manifestée dans un délai prévisible, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à d’autres recherches, a légalement justifié sa décision »


Cet arrêt semble donc confirmer une prise en compte stricte de l’état antérieur asymptomatique qui ne pouvait réduire l’indemnisation sauf si, en faisant une lecture a contrario de l’arrêt cité ci-avant, l’état antérieur s’était révélé dans un délai prévisible.

La solution aurait été bien évidemment différente en cas d’un état antérieur patent dont les premiers symptômes se seraient déjà manifestés avant l’accident…

Ecrit par
Maître Thomas Laurent